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Ecrire pour le cinéma, ou comment relancer une intrigue qui a épuisé le potentiel événementiel de son concept de départ

Les termes en italique sont propres à ce site. Vous trouverez leurs définitions dans le glossaire.

Ecrire pour le cinéma: Une intrigue peut naitre d’une situation de départ, constituée d’un objectif central et générant une série d’obstacles réalistes ou vraisemblables.

Lorsque l’objectif est atteint, l’intrigue est terminée, ou peut être relancée par un nouvel objectif.

Créer une intrigue : par quoi commencer ?

La création d’une intrigue peut démarrer sur la base d’un évènement, voire d’un simple objectif susceptible de rencontrer des obstacles nombreux, variés, générateurs de surprises crédibles, émouvantes et/ou signifiantes.

Pour Parasite, l’auteur est peut-être parti de l’idée centrale de l’intrigue, ce que l’on appelle en jargon professionnel son « concept » : une famille dans le besoin se fait engager comme personnel de maison (objectif) en cachant à leurs employeurs qu’ils appartiennent à la même famille (stratégie). Dans ce résumé (connu dans le milieu professionnel sous le terme « pitch »), les obstacles ne sont pas concrètement décrits, mais facilement imaginables.

La création de l’intrigue peut aussi avoir démarré encore plus en amont, sur un objectif assez banal et une coïncidence crédible : un adolescent sans le sou doit trouver un moyen de gagner sa vie. Un de ses amis lui propose de le remplacer pour donner des cours privés d’anglais à une jeune fille de la bourgeoisie.

Le jeune Kim doit ruser pour convaincre la famille Park de l’engager malgré son manque de diplôme et d’expérience (obstacle). Il parvient néanmoins à gagner la confiance de la mère de son élève (évènement interpersonnel). Le protagoniste atteint son objectif.

Objectif atteint : où va l’intrigue ?

Pour faire « avancer » l’intrigue, son∙sa créateur∙rice doit confronter le protagoniste à un nouvel obstacle ou lui attribuer un nouvel objectif.

Une des méthodes consiste à tester l’application de ce que nous appelons ici un facteur à l’un des éléments de l’évènement. Un facteur étant une condition spécifique de l’utilisation d’un outil narratif, ici un objectif ou un obstacle, pour un résultat spécifique que nous appelons fonction narrative.

Dans cet exemple, le facteur répétition est appliqué à l’objectif de départ. Le protagoniste cherche à faire engager sa sœur, puis son père et enfin sa mère. L’opportunisme de Kim et sa volonté de venir en aide à toute sa famille nous font réfléchir (fonction narrative) sur ses motivations profondes, ses rapports à son père, sa personnalité.

A la page 63 du scénario, qui en contient 141, les Kim se prélassent sur le canapé du luxueux salon de la famille Park, absents le temps d’un week-end de camping. Ils célèbrent leur succès (l’achèvement de leur objectif) en dévalisant le garde-manger de leurs employeurs et en se soûlant.

Cette séquence représente la réalisation d’un nouvel objectif par les protagonistes. Après avoir été engagés tous les trois (objectif atteint), ils décident de prendre du bon temps et de célébrer leur réussite.

Ce nouvel objectif est un exemple de l’application du facteur conformisme (« chassez le naturel, il revient au galop »). En se comportant ainsi, les Kim laissent tomber les masques (pour décrocher leurs emplois, ils ont dû changer drastiquement leurs apparences et leurs comportements) se conforment à leur vraie identité, la famille désenchantée, cynique, vulgaire et sous-tendue par les conflits intrafamiliaux, qui nous a été présentée au début du film.

Leur incursion, en touristes, dans ce monde inconnu pour eux n’a pas suffi à résoudre leurs problèmes intrinsèques, ceux liés à leurs histoires respectives.

D’employés manipulateurs, mais délivrant des services satisfaisants, les Kim se muent en parasites.

Quand la nouveauté du monde de l’intrigue s’estompe : où va l’intrigue ?

Que le développent de l’intrigue parte du premier objectif, ou de son « concept », il parviendra plus ou moins rapidement au même résultat : un jour, les Kim auront atteint leur objectif premier, à savoir gagner leur vie, ne plus être au chômage, résoudre leur problème de paupérisation. Ils auront aussi appris à se tirer d’affaire dans un monde qui leur était au départ inconnu et mystérieux.

A ce stade, l’intrigue aura couvert deux des cinq parties de sa structure naturelle :

  1. La phase chenille, celle du monde d’avant et de ses conflits irrésolus, symptômes de l’histoire de chaque protagoniste (la dynamique de cette famille oisive et désenchantée, l’ancienne carrière sportive de la mère, les échecs professionnels du père, etc.)
  2. La phase touriste au cours de laquelle les protagonistes se meuvent dans un monde qu’ils découvrent (superficiellement) avec des yeux émerveillés, intrigués et (encore) naïfs.

Il est temps d’explorer les zones non touristiques du monde de l’intrigue et de confronter les protagonistes, qui croyaient l’avoir domestiqué, à ses réalités « sauvages » et dérangeantes (phase « expatrié » ou « explorateur »)

Ainsi, un nouvel obstacle doit surgir pour introduire un nouveau danger dans ce monde, et par la même créer un nouvel objectif, celui de triompher de ce danger.

L’auteur de l’intrigue semble avoir été inspiré par au moins deux facteurs de cohésion (= lien entre ce nouvel obstacle et la situation des protagonistes) :

Facteur similarité : qui d’autre peut vivre une situation identique et pourquoi ?

Facteur simultanéité : que peut-il se passer au moment même où les Kim célèbrent leur réussite ?

Les Kim sont des imposteurs à tendance parasitique (situation), ils découvrent qu’un couple fait comme eux (facteur similarité) : L’ancienne gouvernante, qu’ils avaient fait renvoyer, réapparaît pour apporter de la nourriture à son mari qui vit depuis plusieurs années dans les sous-sols de la villa pour fuir des créanciers…

L’ironie de la simultanéité retire aux protagonistes l’impression qu’ils avaient accompli une performance inédite et originale, alors que ce nouveau couple parasitait aussi les Park, et depuis plus longtemps qu’eux.

Ce nouvel obstacle réoriente l’intrigue en apportant une difficulté majeure (le nouveau couple menace de tout dévoiler) et remet les Kim à leur place de victimes.

Il participe à la réflexion commencée dès les premières scènes autour de la thématique coupable/victime et ramène son protagoniste central, le fils Kim, à ses sentiments de culpabilité envers son père, nés d’une « faute » fantasmée qu’il croyait avoir « réparée » en lui procurant cet emploi.

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