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Surprise: pistes de réflexion et ressources
• La surprise est une réaction provoquée par la révélation d’une réalité au caractère inhabituel, inattendu, inconnu, imprévisible
En narration, c’est l’effet principal d’un évènement, d’un nœud narratif ou d’un point de tension narrative /descriptive /argumentative /poétique-lyrique.
Elle englobe le spectaculaire, l’insolite, le magique, le fantastique, le bizarre, le mystérieux, tout ce qui excite l’attention d’un personnage et/ou de l’agent récepteur.
• C’est une composante clé dans une œuvre narrative en tant que porte ouverte vers un monde que l’on ne connaît pas, but ultime de l’art
Notre surprise (celle du personnage ou/et de l’agent récepteur) est le symptôme d’une forme d’erreur (qui peut être également appelé ignorance, naïveté, manque de curiosité, préjugé, etc.) Elle nous incite à réfléchir sur ce qui nous a échappé dans ce monde qui nous a pris en défaut, ce que ce hiatus peut nous révéler sur le monde et nous-même (« insight »).
• La surprise peut varier d’un léger étonnement à l’effarement, voire le malaise vagal, obstacles à toute autre perception
Son intensité peut varier en fonction de trois variants principaux :
– Sa fréquence. Trop de surprise provoque la fatigue, l’ennui, une forme de désensibilisation (indifférence). Montesquieu disait que le besoin fondamental de l’âme est de sentir et ne pas trop sentir ; on y remédie en variant ses modifications.
– Sa qualité. La surprise convoque la conscience (Voir Paul Valéry). La surprise pour la surprise ou la surprise qui se transforme trop rapidement en admiration ou en simple contemplation ne permettent pas de « mieux voir » ou de « voir autrement » le réel.
– Sa fonction (esthétique de l’altérité). Confronté un protagoniste à TOUS les obstacles possibles, afin de multiplier l’expérience de la surprise peut tuer le sens par absence de choix (cultiver la surprise pour la surprise).
Trouver un très grand nombre de sentiments différents qui concourent à l’ébranler [l’âme] et à lui composer un plaisir.
• Surprise et descriptif /argumentatif /poétique-lyrique, le point de tension descriptive /argumentative
Une description ou une argumentation peuvent provoquer l’effet surprise chez l’agent récepteur pour des raisons qui lui sont personnelles et subjectives (l’étonnement ? spécificité culturelle ?)
Une description ou un discours poétique-lyrique peut provoquer une surprise esthétique prévisible grâce à un élément imprévu, imprévisible, singulier, sans pour cela induire un changement d’état ou de direction de l’intrigue comme lors d’un événement. Nous dirons que cette description contient un point de tension descriptive. Exemple : « Le sifflet de la locomotive envoya un cri plaintif et triste, jamais l’horreur de la tempête n’avait paru si belle à Anna. » (Anna Karénine) La description du départ de la locomotive dans la tempête est « tendue » par l’oxymore horreur/belle.
Le facteur surprise peut résider dans l’originalité, l’élégance de la logique ou l’outrance d’un argument.
• « Tension narrative »
C’est un terme générique de narratologie qui désigne les effets émotionnels et l’acquisition de nouvelles connaissances créés par la transition du connu, du prévu et du prévisible vers l’inconnu, l’imprévu et l’imprévisible (surprise).
Le connu, le prévu et le prévisible ne surprennent personne. Ils réassurent et nous mettent sur les rails de notre destinée, nourrissent l’intuitif, constituent le terreau des heuristiques de jugements. Mais très vite ils induisent la monotonie et l’ennui. Survient alors un syndrome paradoxal et… surprenant : l’auto-sabotage générateur d’évènements.
L’inconnu nous surprend proportionnellement à notre capacité de curiosité et d’émerveillement. Elle est très haute chez les jeunes enfants et va en diminuant au fil de ans, sauf chez les êtres qui ont gardé en eux une part de l’enfant qu’ils ont été. L’être humain est naturellement motivé à résoudre les mystères (un réflexe de survie). L’imprévu nous surprend avant de nous mettre (éventuellement) en colère. Il nous rend coupable d’avoir été pris en flagrant délit d’imprudence, de manque d’anticipation. L’imprévu vous ramène à nos limites, à nos erreurs. L’imprévisible surprend brièvement avant de nous confronter au sentiment d’impuissance. C’est une porte ouverte sur un monde où plus aucune de nos références ne fonctionnent.
La tension narrative est générée non seulement par les événements de l’intrigue mais également par la mise en récit, à savoir les choix de l’agent narrateur au niveau de la représentation/description des actions non verbales des personnages, des descriptions (paysage, décors, situation, pensées des personnages, atmosphère, etc.), des commentaires, opinions, digressions, des actions verbales représentées ou rapportées (dialogue), de la gestion de la divulgation des informations. Dans ce cas c’est le « consommateur » de l’œuvre narrative qui se trouve dans la situation d’un protagoniste dont la réalisation de l‘objectif (la compréhension du message) est contrecarrée par des partis-pris de l’agent narrateur, comme la rétention d’information, la fragmentation, la non-linéarité, la désinformation (unreliable narrator), le changement de « focalisation », etc.
Il y a deux types de « tensions narratives » : Celle qui résulte d’un événement aux conséquences telles qu’elles induisent un changement d’objectif et de stratégie de la part du protagoniste (= le personnage ayant fait le choix de l’objectif et de la stratégie), ou un changement de direction de l’intrigue, voire du récit. Dans un récit, ce type d’événement est appelé ici un nœud narratif.
Lorsque l’inconnu, l’imprévu ou l’imprévisible produit un effet de surprise sans conséquence pour le fil du l’intrigue (faits, évènements, discours directs) ou des autres éléments du récit (descriptions, argumentations/injonctions, discours indirects, poétique-lyrique), alors nous l’appelons un point de tension narrative.
• Autres propositions:
– La qualité de la surprise donne sa valeur à un évènement. Une surprise est fertile lorsque l’erreur qu’elle révèle est universelle, pertinente, porteuse de sens, sujette à discussion, etc. Une surprise sans erreur concerne l’instinct ou la pulsion (par ex. le voyeurisme).
– Le fanatique s’interdit et interdit les autres d’être surpris. Il est vain d’inciter un « fan » à analyser son sujet de prédilection.
– L’étonnement suscité par le réel serait le sentiment déclencheur de l’attitude philosophique, notamment d’après Socrate (on parle alors souvent d’étonnement socratique), qui utilise pour désigner cette émotion le mot θαυμάζειν (thaumazein, qui signifie aussi émerveillement).
– « Je n’ai jamais aimé être surpris. Quand il m’arrive quelque chose, je préfère être là. » Albert Camus, L’étranger, 1942. Donc, l’erreur serait de ne pas « être là ». L’art nous apprend à « être là ».
– A propos d’un tableau de Raphael : La surprise n’est pas représentée, elle est suscitée par la captation insidieuse de notre regard : le sujet surpris n’est pas dans l’œuvre, il est face à elle, la surprise s’installe progressivement, par l’approfondissement de notre regard. La surprise est d’abord médiocre, mais progresse par notre attention même, nous conduisant de l’étonnement à l’admiration, qui est une surprise agréable. (Dictionnaire Arts et Emotions, Armand Colin, p 429)
– Dans « 1984 » de George Orwell, la surprise est que l’on ne peut plus être surpris. Le parti contrôle l’imprévu et l’inconnu.
– On ne peut qu’ « attendre un heureux évènement », c’est-à-dire espérer que l’accouchement se passe bien (l’expression est une forme de conjuration), mais pas qualifier, après coup, une naissance, prévisible par définition, d’ « heureux évènement ». Célébrer un « heureux évènement » ou féliciter quelqu’un pour un « heureux évènement » ne sont pas compatibles avec la notion d’évènement.
La mort est une surprise que fait l’inconcevable au concevable.
C’est la surprise, l’étonnement qui nous oblige à évoluer.