J’Accuse, Emile Zola, 1898.
Comment un agent narrateur/argumenteur peut-il∙elle convaincre un agent récepteur de la sincérité de ce qui l’anime et qui nourrit ses opinions et la véracité des faits qu’il∙elle rapporte ?
L’article polémique de Zola est une argumentation illustrée de passages narratifs exposant des évènements avérés ou supposés.
L’adhésion du lectorat pour une œuvre de ce genre repose habituellement sur deux facteurs principaux :
– la compétence de l’agent narrateur relative à la connaissance des faits et à leur exactitude.
– sa sincérité, c’est-à-dire les raisons, et leurs valeurs, qui le motivent.
Pour le second, l’émotion dominante chez Zola est l’indignation face à une injustice qui salit la France, la réputation de ses dirigeants et sa propre conscience d’« honnête homme ».
Puisqu’ils ont osé, j’oserai aussi, moi. La vérité, je la dirai, car j’ai promis de la dire, si la justice, régulièrement saisie, ne la faisait pas, pleine et entière. Mon devoir est de parler, je ne veux pas être complice. Mes nuits seraient hantées par le spectre de l’innocent qui expie là-bas, dans la plus affreuse des tortures, un crime qu’il n’a pas commis. Et c’est à vous, monsieur le Président, que je la crierai, cette vérité, de toute la force de ma révolte d’honnête homme.
Mais la passion, exprimée ici, est-elle réelle ou un simple effet de manche ? L’agent Hugo est-il une source fiable de valeurs morales ? Sa conscience est-elle sa seule motivation ? Ou est-il motivé plus ou moins secrètement par des considérations politiques et partisanes ?
Seul l’agent récepteur, influencé par ses propres partis-pris, convictions, aveuglements pourra répondre à ces questions.
Il n’y a qu’une donnée objective, qui est à même de se porter garante de la sincérité de l’agent narrateur/argumenteur, c’est celle relative aux risques réels que ses déclarations lui font courir. Si l’expression de ses opinions n’était pas motivée par la défense d’une vérité profondément ressentie, alors Zola ne prendrait pas de tels risques.
En portant ces accusations, je n’ignore pas que je me mets sous le coup des articles 30 et 31 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881, qui punit les délits de diffamation. Et c’est volontairement que je m’expose.
(…)
Je n’ai qu’une passion, celle de la lumière, au nom de l’humanité qui a tant souffert et qui a droit au bonheur. Ma protestation enflammée n’est que le cri de mon âme. Qu’on ose donc me traduire en cour d’assises et que l’enquête ait lieu au grand jour ! J’attends.
Ce risque concret, réel, plausible est l’argument que Zola place en dernier dans son texte, la dernière impression qu’il veut imprimer sur son lectorat, celle d’une conviction « sans peur et sans reproche… »
La question de savoir ce qu’un agent narrateur peut potentiellement perdre en s’adressant à un public est l’une des facettes d’une discussion plus large sur l’utilité d’un récit.