Nineteen Eighty-four (1984), George Orwell, 1946, Secker & Warburg.
1. Un protagoniste névrosé. Absence d’objectif concret et de stratégie
Dans un monde divisé en trois grands blocs totalitaires et belligérants, Winston Smith, un petit fonctionnaire du Parti, spécialiste de la réécriture des archives historiques, a pris conscience de ses propres doutes et ressentiments envers le régime en place.
Susceptible d’être « évaporé » à tout instant par la Police de la Pensée, il note ses pensées et récriminations séditieuses dans un petit carnet.
Il survit tant bien que mal au climat de suspicion qui empoisonne la vie quotidienne et à l’idéologie anti-amour et anti-sensualité, de cette société concentrationnaire dans laquelle même le langage fait l’objet d’une destruction systématique.
Winston participe aux Deux minutes de Haine, un rituel quotidien de propagande anti-sédition. Il croit reconnaître un signe de complicité dans le bref regard d’un cadre haut placé nommé O’Brien.
Je suis avec toi, semblait lui dire O’Brien. Je sais exactement ce que tu éprouves, je connais ton mépris, ta haine ton dégoût, mais soit tranquille, je suis de ton côté.
Mais Winston écarte aussitôt cette hypothèse et retourne à sa souffrance muette et son état de paralysie morale.
Ces incidents n’ont jamais de suite. Ils ne font que le maintenir dans l’idée ou l’espoir qu’il n’est pas le seul ennemi du Parti. Peut-être ces rumeurs de vastes complots sont-elles fondées, après tout. Malgré les arrestations et les confessions sans fin, impossible de savoir si la Fraternité est autre chose qu’un mythe. Certains jours il y croit, d’autres pas.
Pendant l’une de ces séances, Winston remarque la présence d’une jeune femme, membre de la « ligue anti-sexe des juniors ». Son comportement discipliné lui fait penser qu’elle est une espionne de la police secrète. Il la hait instantanément, tout en restant attiré par elle.
Il est frappé de découvrir que, dans les moments de crise, on ne se bat jamais contre un ennemi extérieur, mais toujours contre son propre corps.
Un jour, Julia lui remet discrètement un papier sur lequel il est écrit « Je vous aime. »
Dans ce premier acte, jusqu’à cette relation illégale et risquée qui s’offre à lui, Winston ne dépasse pas le niveau des fantasmes (sur les dangers et les alliés potentiels) et de la nostalgie de temps anciens, dont il ne se souvient presque rien. Il est passif, ne prend aucun vrai risque et ne fait confiance en personne. Sa « révolte » se limite à ses ruminations mentales.
2. Un premier pas vers un changement
Le monde étriqué et solitaire de Winston s’ouvre potentiellement aux sentiments, à la sensualité et aux partages d’idées. Mais d’abord, ses vieux réflexes résistent et il reste prudent.
À la vue des mots « Je t’aime », le désir de rester vivant s’est gonflé en lui comme une vague, et il serait bien bête de prendre le moindre risque.
Winston et Julia ne peuvent pas entrer en contact facilement dans une société d’interdits et de surveillance. La jeune femme, pragmatique, précise, débrouillarde, prend les choses en main.
…et la fille lui paraît si expérimentée que son appréhension en est diminuée d’autant.
Elle a pensé à tout pour trouver un moyen de se rencontrer discrètement à la campagne autour de Londres, dont elle semble posséder une connaissance encyclopédique. Ils font l’amour dans une chambre louée à un antiquaire des quartiers prolétaires.
Julia partage les idées de Winston sur l’inanité du régime, mais elle a décidé de jouer la carte de la duplicité. Elle se prête à toutes les activités et manifestations de ferveur patriotique imposées par le gouvernement tout en gardant pour elle ses opinions subversives. Son objectif prioritaire : satisfaire ses propres désirs.
Combien de fois, à des meetings, des manifestations spontanées, elle a réclamé à grands cris l’exécution de gens dont elle n’avait jamais entendu le nom, accusé de crimes dont elle croyait par un mot.
Bien qu’ils partagent les mêmes idées politiques, Julia n’est qu’une première étape pour Winston.
Parfois aussi, ils parlent de s’engager dans la rébellion active contre le Parti, mais sans avoir le plus petit commencement d’idées sur la marche à suivre. Parce qu’à supposer que la mythique Fraternité existe pour de bon, reste le problème de s’y affilier.
C’est un message d’O’Brien qui marque l’entrée du protagoniste dans ce qu’il croit être un acte concret de résistance.
3 . La concrétisation des idées et des objectifs
C’est enfin arrivé. Le message tant espéré lui est parvenu. Il a l’impression de l’avoir attendu sa vie durant.
O’Brien leur donne son adresse personnelle et les invite pour une rencontre secrète. Winston en déduit que « La conspiration dont il rêve existe bel et bien et il vient d’accéder à sa périphérie » 6 p 200.
Néanmoins c’est à la mort qu’il pense quand il se rend au rendez-vous.
Il a la sensation de descendre dans l’humidité froide de la tombe, sans qu’il soit réconfortant de savoir depuis toujours que cette tombe est là à attendre.
Winston déclare à O’Brien qu’il est prêt à commettre n’importe quel acte, même le plus vil, pour faire avancer la cause de la « Fraternité ».
O’Brien leur fait parvenir « Le Livre » de Goldstein, l’ennemi du peuple et du Parti, objet de haine et de peur. Winston insiste pour le lire à haute voix à Julia, malgré l’intérêt limité de la jeune femme pour ce qu’elle considère au-dessus de ses moyens intellectuels. Y sont expliqués les ressorts du système de manipulation psychologique du régime des oligarques. Winston n’apprend rien de nouveau, mais ce livre le rassure.
Après réflexion, il parvient à la conclusion qu’il « sait comment, mais il ne sait pas encore pourquoi » .
À cet instant la Police de la Pensée débarque et les arrête tous les deux.
4. Souffrance
O’Brien se révèle être un agent chargé de traquer les « criminels par la pensée ». Winston était dans son point de mire depuis plusieurs années.
Le protagoniste est torturé pendant de longs mois jusqu’à ce que la souffrance lui fasse perdre toutes ses convictions et qu’il soit prêt à accepter n’importe quelle vérité, aussi contradictoire soit-elle (« 2 et 2 font 5 »).
Sa « rééducation » se finit lorsque confronté à sa phobie la plus forte (les rats) il trahit Julia en demandant à O’Brien de la torturer à sa place. Sa loyauté envers la jeune femme était incompatible avec l’indéfectible fidélité que le Parti exige de ses sujets. Pour le régime, la trahison de Winston est un signe de son retour dans la ligne idéologique officielle.
5. Ce que le protagoniste a appris
Winston est relâché. Il fréquente le café du Châtaignier, lieu mythique fréquenté jadis par les opposants au régime. Il n’est plus qu’une épave vide de dignité et de pensée personnelle, un alcoolique accro au gin de synthèse, véritable « opium » du peuple.
Il se souvient d’un moment de « réconciliation », situé dans son enfance, au cours duquel il a oublié sa faim (le pays était en guerre). Sa mère lui avait acheté un jeu de société et pendant un instant ils avaient été heureux.
Mais Winston revient vite sur terre.
Il chasse le tableau de son esprit. C’est un faux souvenir. Il lui en vient de temps en temps, ce qui n’est pas grave tant qu’on les reconnaît comme tels. Certaines choses sont bien arrivées, d’autres non.
Fier d’avoir remporté une victoire sur lui-même, il déclare aimer Big Brother.
Victime d’un lavage de cerveau du régime, Winston a finalement assimilé sa doctrine.
Le protagoniste est devenu « papillon »…