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Exemple de structure d’intrigue en cinq « actes » d’un épisode de roman

Les termes en italique sont propres à ce site. Vous trouverez leurs définitions dans le glossaire.

Parmi les nombreux épisodes de ce roman-fleuve aux protagonistes multiples, il en est un qui illustre la pertinence de la structure d’intrigue en cinq parties.

Jean Valjean, ancien forçat au passé douloureux, se cache sous la fausse identité de M. Madeleine, maire d’une petite ville. Il vit une existence honorable, mais « troublée » par les pensées d’une « porte entrouverte » par laquelle son passé peut faire irruption, tel un « chien de chasse toujours à l’arrêt. »

C’est le premier « acte » de cette mini-intrigue.

L’inspecteur Javert débarque et lui annonce la tenue prochaine du procès d’un homme soupçonné d’être Jean Valjean. Sa conscience empêche le protagoniste de dormir (obstacle)…

Il ralluma brusquement sa bougie.
– Eh bien quoi ! se dit-il, de quoi est-ce que j’ai peur ?

Suit une argumentation qui traite du dilemme dans lequel se trouve le protagoniste (ne rien faire et laisser accuser un innocent ou se dénoncer et perdre sa nouvelle identité). Le facteur enjeux et risques lui est appliqué et sa conclusion est que l’un des enjeux est plus important que les autres.

Elle débute avec les pensées du protagoniste et des questions relatives aux enjeux et aux risques (facteur) rattachés à sa décision de ne pas révéler sa vraie identité (objectif).

… qu’est-ce que j’ai à songer comme cela ? Me voilà sauvé. Tout est fini. Je n’avais plus qu’une porte entrouverte par laquelle mon passé pouvait faire irruption dans ma vie ; cette porte, la voilà murée ! à jamais ! Ce Javert qui me trouble depuis si longtemps, ce redoutable instinct qui semblait m’avoir deviné, qui m’avait deviné, pardieu ! et qui me suivait partout, cet affreux chien de chasse toujours en arrêt sur moi, le voilà dérouté, occupé ailleurs, absolument dépisté  ! Il est satisfait désormais, il me laissera tranquille, il tient son Jean Valjean ! Qui sait même, il est probable qu’il voudra quitter la ville ! Et tout cela s’est fait sans moi ! Et je n’y suis pour rien !

M. Madeleine veut se persuader qu’il n’y a plus ni risque (Javert) ni enjeu (son identité).

Ah çà, mais ! qu’est-ce qu’il y a de malheureux dans ceci ? Des gens qui me verraient, parole d’honneur ! croiraient qu’il m’est arrivé une catastrophe ! Après tout, s’il y a du mal pour quelqu’un, ce n’est aucunement de ma faute. C’est la providence qui a tout fait. C’est qu’elle veut cela apparemment ! Ai-je le droit de déranger ce qu’elle arrange ? Qu’est-ce que je demande à présent ? De quoi est-ce que je vais me mêler ? Cela ne me regarde pas.

Il veut aussi prétendre qu’aucun dilemme ne peut exister face à « la providence »  (premier argument moral).

Le protagoniste ne veut voir que le bon côté de la nouvelle situation (être débarrassé de Javert et de son passé), il se trouve dans l’état d’esprit typique du protagoniste touriste du deuxième « acte » de l’intrigue.

Mais très vite, sa conscience (obstacle intrapersonnel) le force à regarder là où se trouvent des vérités moins facilement accessibles (troisième « acte » : l’expatrié ou l’explorateur). Une chaîne d’arguments étaye son propos :

Comment ! Je ne suis pas content ! Mais qu’est-ce qu’il me faut donc ? Le but auquel j’aspire depuis tant d’années, le songe de mes nuits, l’objet de mes prières au ciel, la sécurité, je l’atteins ! C’est Dieu qui le veut. Je n’ai rien à faire contre la volonté de Dieu. Et pourquoi Dieu le veut-il ? Pour que je continue ce que j’ai commencé, pour que je fasse le bien, pour que je sois un jour un grand et encourageant exemple, pour qu’il soit dit qu’il y a eu enfin un peu de bonheur attaché à cette pénitence que j’ai subie et à cette vertu où je suis revenu ! Vraiment je ne comprends pas pourquoi j’ai eu peur tantôt d’entrer chez ce brave curé et de tout lui raconter comme à un confesseur, et de lui demander conseil, c’est évidemment là ce qu’il m’aurait dit. C’est décidé, laissons aller les choses ! laissons faire le bon Dieu !

M. Madeleine croit se découvrir une mission divine, un bien qui effacerait un mal, en direction duquel il n’a pas encore osé regarder.

Il se parlait ainsi dans les profondeurs de sa conscience, penché sur ce qu’on pourrait appeler son propre abîme. Il se leva de sa chaise, et se mit à marcher dans la chambre. – Allons, dit-il, n’y pensons plus. Voilà une résolution prise !

Un nouvel objectif est fixé, aussitôt contrarié par un nouvel obstacle.

– Mais il ne sentit aucune joie. Au contraire.

C’est l’entrée dans le quatrième « acte », celui de la « souffrance ».

Avant de poursuivre le périple, l’agent narrateur se permet un commentaire sur cet obstacle.

On n’empêche pas plus la pensée de revenir à une idée que la mer de revenir à un rivage. Pour le matelot, cela s’appelle la marée ; pour le coupable, cela s’appelle le remords. Dieu soulève l’âme comme l’océan.

Puis il décrit la souffrance du protagoniste (comparable à un chemin de croix), laquelle n’est pas encore dicible pour M, Madeleine. Cet agent narrateur s’érige en moralisateur.

Au bout de peu d’instants, il eut beau faire, il reprit ce sombre dialogue dans lequel c’était lui qui parlait et lui qui écoutait, disant ce qu’il eût voulu taire, écoutant ce qu’il n’eût pas voulu entendre, cédant à cette puissance mystérieuse qui lui disait : pense ! comme elle disait il y a deux mille ans à un autre condamné : marche !

L’agent narrateur ouvre une nouvelle parenthèse, donne son avis sur l’habitude de soliloquer et des indications sur son récit (métalepse narrative). Par la même il énonce l’objectif ultime que son protagoniste a refusé de concevoir jusqu’à présent :

Avant d’aller plus loin et pour être pleinement compris, insistons sur une observation nécessaire.
Il est certain qu’on se parle à soi-même, il n’est pas un être pensant qui ne l’ait éprouvé. On peut dire même que le verbe n’est jamais un plus magnifique mystère que lorsqu’il va, dans l’intérieur d’un homme, de la pensée à la conscience et qu’il retourne de la conscience à la pensée. C’est dans ce sens seulement qu’il faut entendre les mots souvent employés dans ce chapitre, il dit, il s’écria. On se dit, on se parle, on s’écrie en soi-même, sans que le silence extérieur soit rompu. Il y a un grand tumulte, tout parle en nous, excepté la bouche. Les réalités de l’âme, pour n’être point visibles et palpables, n’en sont pas moins des réalités.

Puis la narration reprend, celle de l’expérience de la souffrance (quatrième « acte »), jusqu’à son degré extrême, celui où l’on ne se souffre plus soi-même…

Il se demanda donc où il en était. Il s’interrogea sur cette « résolution prise ». Il se confessa à lui-même que tout ce qu’il venait d’arranger dans son esprit était monstrueux, que « laisser aller les choses, laisser faire le bon Dieu », c’était tout simplement horrible. Laisser s’accomplir cette méprise de la destinée et des hommes, ne pas l’empêcher, s’y prêter par son silence, ne rien faire enfin, c’était faire tout ! c’était le dernier degré de l’indignité hypocrite ! c’était un crime bas, lâche, sournois, abject, hideux !

Et l’agent narrateur d’en rajouter une couche…

Pour la première fois depuis huit années, le malheureux homme venait de sentir la saveur amère d’une mauvaise pensée et d’une mauvaise action. Il la recracha avec dégoût.

Le protagoniste « touche le fond » (obstacle cathartique). Il se trouve dans le cinquième « acte », celui des « bonnes » questions, des réponses judicieuses (arguments) et de nouvelles perspectives.

Ce passage constitue une délibération entre le protagoniste et une instance dont l’identité est fluide : la conscience de M. Madeleine ou l’agent narrateur. Les principaux arguments sont exprimés.

Il continua de se questionner. Il se demanda sévèrement ce qu’il avait entendu par ceci : « Mon but est atteint ! » Il se déclara que sa vie avait un but en effet. Mais quel but ? Cacher son nom ? Tromper la police ? Était-ce pour une chose si petite qu’il avait fait tout ce qu’il avait fait ? Est-ce qu’il n’avait pas un autre but, qui était le grand, qui était le vrai ? Sauver, non sa personne, mais son âme. Redevenir honnête et bon. Être un juste ! est-ce que ce n’était pas là surtout, là uniquement, ce qu’il avait toujours voulu, ce que l’évêque lui avait ordonné  ? – Fermer la porte à son passé  ? Mais il ne la fermait pas, grand Dieu ! il la rouvrait en faisant une action infâme ! mais il redevenait un voleur, et le plus odieux des voleurs ! il volait à un autre son existence, sa vie, sa paix, sa place au soleil ! il devenait un assassin ! il tuait, il tuait moralement un misérable homme, il lui infligeait cette affreuse mort vivante, cette mort à ciel ouvert, qu’on appelle le bagne ! Au contraire, se livrer, sauver cet homme frappé d’une si lugubre erreur, reprendre son nom, redevenir par devoir le forçat Jean Valjean, c’était là vraiment achever sa résurrection, et fermer à jamais l’enfer d’où il sortait ! Y retomber en apparence, c’était en sortir en réalité  ! Il fallait faire cela ! il n’avait rien fait s’il ne faisait pas cela ! toute sa vie était inutile, toute sa pénitence était perdue, et il n’y avait plus qu’à dire : à quoi bon ? Il sentait que l’évêque était là, que l’évêque était d’autant plus présent qu’il était mort, que l’évêque le regardait fixement, que désormais le maire Madeleine avec toutes ses vertus lui serait abominable, et que le galérien Jean Valjean serait admirable et pur devant lui. Que les hommes voyaient son masque, mais que l’évêque voyait sa face. Que les hommes voyaient sa vie, mais que l’évêque voyait sa conscience.

L’épisode se termine par la description du nouvel objectif, lequel découle de la conclusion de l’argumentation : ce qui compte c’est de sauver son âme, le seul enjeu de valeur.

Le protagoniste est devenu « papillon »…

Il fallait donc aller à Arras, délivrer le faux Jean Valjean, dénoncer le véritable ! Hélas ! c’était là le plus grand des sacrifices, la plus poignante des victoires, le dernier pas à franchir, mais il le fallait. Douloureuse destinée ! il n’entrerait dans la sainteté aux yeux de Dieu que s’il rentrait dans l’infamie aux yeux des hommes !
– Eh bien, dit-il, prenons ce parti ! faisons notre devoir ! sauvons cet homme !
Il prononça ces paroles à haute voix, sans s’apercevoir qu’il parlait tout haut.

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