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Soumettre à la réflexion les intentions en « sous-texte » d’un.e locuteur.rice

Les termes en italique sont propres à ce site. Vous trouverez leurs définitions dans le glossaire.

La politique est l’art de mentir à propos (Voltaire).

Monsieur Ramsay, sa femme, leurs huit enfants et quelques invités passent l’été dans leur maison de vacances située au bord de la mer en Écosse.

Au début du roman, James, 6 ans, veut partir en bateau explorer l’île au phare. Mais son père annonce sur un ton sec, sans considération pour le ressenti de son fils et sans consulter sa femme, que cette expédition ne pourra avoir lieu, car, prétend-il, le temps va se gâter.

Consciente de l’amère déception de son jeune fils, Madame Ramsay désavoue son mari devant toute la maisonnée.

Mais il peut faire beau – je crois qu’il fera beau », répondit Mrs. Ramsay, tortillant avec impatience un bout du bas de couleur rouge sombre qu’elle était en train de tricoter.

La réaction spontanée de Madame Ramsey révèle un jeu de pouvoir dans le couple Ramsey. Peut-être parce qu’elle regrette cette mise à nu intempestive de leurs dissensions, elle s’empresse de détourner l’attention sur l’utilité de ce voyage.

Si elle le finissait ce soir, si, en définitive, on allait au Phare, elle destinait au gardien cette paire pour son petit garçon menacé de tuberculose de la hanche, ainsi qu’un ballot de vieux magazines et une provision de tabac.

Les paroles de Madame Ramsey ont un objectif évident : promouvoir un état d’esprit charitable auprès de ses huit enfants (action verbale).

… et d’ailleurs tout ce qu’elle avait pu ramasser de choses inutiles en somme dans ce qui traînait à la maison et ne faisait qu’encombrer…

Des bonnes intentions certes, mais entachées, selon l’agent narrateur (« en somme »), d’une certaine hypocrisie : il peut être utile, pour soi (faire de l’ordre dans ses vieilles affaires), d’être charitable…

À travers une parole, au-delà de son contenu premier, il est toujours aussi question de son∙sa locuteur∙rice.

… pour donner à ces pauvres gens qui devaient mourir d’ennui à rester tout le jour sans rien à faire que d’astiquer des lampes, entretenir les mèches et ratisser leur jardinet, de quoi se distraire.

Madame Ramsey enchaîne avec un récit lui aussi destiné à l’éducation morale de ses enfants. Pourquoi insiste-t-elle ? Se sent-elle coupable de son coup d’éclat et veut-elle se racheter en passant pour une « bonne » mère ?

Elle commence par la description d’une situation hypothétique…

Car, demandait-elle, qu’est-ce que vous diriez d’être enfermé pendant tout un mois et peut-être davantage par gros temps, sur un rocher grand comme une pelouse de tennis ; de ne recevoir ni lettres ni journaux et de ne voir personne ; étant marié, de ne pas voir votre femme et d’ignorer comment vont vos enfants, s’ils sont malades, s’ils sont tombés et se sont cassé une jambe ou un bras ; de voir se briser les mêmes vagues mornes pendant des semaines entières,

… qu’elle fait suivre d’un obstacle hypothétique :

… puis arriver une terrible tempête, les fenêtres se couvrir d’écume, les oiseaux se jeter contre la lampe et le phare tout entier osciller, sans qu’on ose mettre le nez dehors de peur d’être balayé par la mer ?

Elle boucle le récit de cet évènement contingent par une conclusion morale.

Qu’est-ce que vous diriez de ça ? demandait-elle en s’adressant à ses filles en particulier. Aussi, ajouta-t-elle, sur un ton un peu changé, il faut porter à ces gens-là toutes les douceurs possibles.

Madame Ramsey s’adresse à ses filles en particulier. Son récit diffère de la première leçon de morale, qui concernait la famille du gardien du phare à qui il fallait apporter des chaussettes et d’autres choses pour leur épargner de mourir d’ennui. Son récit concerne maintenant un homme…

Un homme seul, enfermé dans son phare et dont la vie même est menacée par une terrible tempête. Madame Ramsey dit à ses filles qu’il faut avoir pitié de cet homme, qu’il faut lui apporter tout le réconfort dont elles sont capables.

Sous le couvert d’un message moral (action verbale 1) elle dit implicitement à ses enfants, et particulièrement à ses filles (action verbale 2), qu’il faut avoir de l’indulgence pour leur père, et aussi pour la patience dont elle fait preuve face à cet homme renfermé, cassant, manquant singulièrement de sensibilité pour les émotions des autres et qui…

… ne modifiait jamais une parole désagréable pour satisfaire ou arranger âme qui vive…

L’île éloignée, encerclée par une tempête colérique, l’enfermement dans le phare, la séparation du père de la famille semblent être des métaphores du comportement sclérosé et irascible de Monsieur Ramsey et du conflit qui couve dans son couple et sa famille.

En donnant une leçon de morale aux enfants, Madame Ramsey fait aussi de la politique conjugale.

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