Casablanca, scénario de J.J. et P.G. Epstein, H. Koch, réalisation M. Curtiz, 1942
Ce que l’on ignore d’un personnage (rétention/mystère) peut inciter l’agent récepteur à faire des hypothèses.
Il serait tentant de penser que la « trahison » d’Ilsa à Paris, est l’évènement premier à l’origine de l’intrigue narrée dans le film Casablanca.
Mais les conséquences de cet événement dans la vie de Rick auraient pu être tout autre,
Après la déception qui termine sa relation fusionnelle avec Ilsa, Rick aurait pu vouloir tourner la page et décider de prendre le maquis quelque part en France pour continuer sa lutte contre le fascisme, ce qu’il avait déjà fait en l’Espagne et en Éthiopie.
Au lieu de cela, il s’enfuit et on le retrouve à Casablanca, brisé moralement, ayant renié ses combats passés et portant un regard cynique sur le désespoir qui l’entoure. Il est ami avec un policier corrompu, complice d’un trafic de marché noir et entretient des relations sans lendemain avec de jeunes femmes vulnérables (dont Yvonne véritable sosie d’Ilsa). En noyant son spleen dans le bourbon, il confesse à qui veut l’entendre ses errances dans les bordels marocains.
Bref, Rick est tombé très bas.
Une telle réaction extrême pour un homme de son âge (Bogard trop vieux pour le rôle d’un jeune homme d’environ 28 ans ?) ne peut être que le résultat d’une cause plus profonde qui le pousse à croire que sa vie est irrémédiablement terminée parce qu’une femme l’a rejeté, une force irrésistible qui entretient son statut de victime…
Des questions sont posées par les autres personnages sur le passé de l’Américain, notamment la raison qui l’empêche de retourner dans son pays, mais le vrai mystère concerne l’essence de ce protagoniste, le mystère de la souffrance fondamentale de cet aventurier au grand cœur.
Un événement dans le passé de Rick a produit le terreau favorable à son immaturité émotionnelle.
Comme toutes ces causes systémiques, décelables le plus souvent à la suite d’un très long et approfondi travail sur soi-même (psychanalyse, etc.), nous n’en serons pas informés. Ce mystère n’est qu’un « hareng rouge » sans fonction pour l’intrigue, mais qui contribue à rendre le personnage universel : ne sommes-nous pas tous tentés une fois ou l’autre par le désespoir ?