A Farewell to Arms, Ernest Hemingway, 1929. Traduit par Maurice-E. Coindreau
La rétention appliquée au style d’une description peut lui donner une valeur argumentative.
Dans L’adieu aux armes, un agent narrateur homodiégétique narre son voyage de retour sur le front et décrit le paysage qu’il regarde depuis la fenêtre d’un véhicule, ou du moins ce qu’il veut bien voir…
Nous avons souligné ci-dessous les éléments descriptifs de son récit :
C’était l’automne. Les arbres étaient nus et les routes boueuses. D’Udine je me rendis à Gorizia sur un camion. Nous croisâmes d’autres camions sur la route. Je regardais le paysage. Les mûriers avaient perdu leurs feuilles et les champs étaient bruns. Des feuilles mortes, tombées des rangées d’arbres nus, gisaient mouillées, sur la route, et, sur la route, des hommes travaillaient à combler les ornières avec les pierres qui s’élevaient en tas de chaque côté, entre les arbres. Nous pouvions voir la ville sur laquelle pesait une brume qui voilait les montagnes. Nous traversâmes la rivière et je vis qu’elle était très haute. Il avait plu dans la montagne. Nous entrâmes en ville, passant d’abord devant les usines, puis devant les maisons et les villas ; et je remarquai qu’il y avait beaucoup plus de maisons endommagées. Dans une rue étroite, nous croisâmes une ambulance de la Croix-Rouge anglaise. Le chauffeur portait un képi. Son visage était fin et bronzé. Je ne le connaissais pas.
Le soldat Hemingway retourne sur le front après une permission obtenue suite à une blessure. Il se déplace en train puis en camion. Il concentre son attention sur cette nature qui s’obstine à tenir son agenda malgré le chaos ambiant (c’est l’automne…), les routes sont réparées alors que la guerre détruit les maisons, le protagoniste ne connait pas l’ambulancier, il est seul.
Ce ne sont pas de simples vignettes décoratives qui défilent sous nos yeux, mais un regard influencé par le point de vue d’un agent narrateur, son vécu, ses opinions.
Le dépouillement stylistique de la description, la presque banalité de ce qui est décrit, un récit quasi télégraphique comme s’il se tenait à distance de la réalité, pourraient constituer l’expression de l’opinion de l’agent narrateur sur l’absurdité et l’inanité de la guerre, ainsi qu’une incitation à réfléchir, entre autres, à la question de son esthétisme.