Intouchables, film écrit et réalisé par Olivier Nakache et Eric Toledano, 2011
En étant rattachée à une histoire, une intrigue dépasse la simple anecdote, la quête de son protagoniste s’enrichit d’une dimension existentielle et certains de ses comportements sont crédibilisés.
Dans l’intrigue du film français et de son « remake » américain, Philippe (Philip), un riche aristocrate féru de culture, et tétraplégique, engage Driss (Dell Scott), un jeune de banlieue tout juste sorti de prison, pour être son aide à domicile.
L’objectif explicite et sa poursuite sont clairs : le protagoniste handicapé a besoin d’engager quelqu’un pour faire les nombreux gestes du quotidien qu’il n’est plus physiquement capable de faire.
Les personnages ne font pas toujours ce que l’on attend d’eux
Mais pourquoi choisirait-il ce jeune homme inexpérimenté, peu motivé, au comportement rude et à cent lieues de ses propres repaires socioculturels ?
Ce paradoxe est le point d’attraction principal du film. La possibilité de la rencontre de ces deux mondes que tout oppose doit être démontrée, la vraisemblance de cette rencontre, établie.
La question « pourquoi ? », facteur de vraisemblance
L’une des méthodes possibles est de remonter le fil des évènements en répondant aux questions « pourquoi ? » qui se posent naturellement :
➤ Pourquoi le « jeune de banlieue » et l’aristocrate se rencontrent-ils ?
Le jeune de banlieue cherche un emploi, il répond à une petite annonce.
➤ Pourquoi « l’aristocrate » l’engage-t-il ? Est-ce « par hasard » ?
Non, ce n’est pas par hasard, Philippe engage Driss par dépit.
➤ Pourquoi est-il dépité ?
Philippe ne supporte plus la compassion dont il fait l’objet. Driss est quelqu’un de direct et très terre à terre. Engager Driss est une forme de revanche contre les « aidants » politiquement corrects… et hypocrites.
➤ Pourquoi la compassion est-elle un problème pour Philippe ?
Parce qu’elle lui rappelle son handicap et que Philippe, à ce moment précis de sa vie, le trouve particulièrement insupportable.
➤ Pourquoi Philippe en a-t-il particulièrement marre à ce moment précis de sa vie ?
Philippe est fâché contre son handicap, car celui-ci lui a fait faire quelque chose qui l’horripile.
Qu’a-t-il fait ?
Philippe n’a pas osé prendre son téléphone pour donner rendez-vous à la femme avec laquelle il entretient une relation épistolaire passionnée.
Nous sommes arrivés ici à l’évènement premier (de type intrapersonnel) qui relie l’intrigue à l’histoire de Philippe.
L’histoire en amont de l’intrigue
Le jour où Philippe s’aperçoit qu’il n’ose pas rencontrer sa correspondante est un jour de profonde tristesse pour lui. Non seulement son handicap influence négativement sa vie, concrètement (il n’y peut rien), mais également sa confiance en lui-même (une faiblesse de caractère).
Le malheur est le facteur déclencheur des histoires. Les histoires sont les tentatives des personnages pour (re)trouver le bonheur. (« Il y a beaucoup de façons différentes d’être malheureux, qu’une seule façon d’être heureux » Tolstoï).
La surprise provoquée par sa décision de ne pas appeler la femme qu’il aime lui fait prendre conscience de l’impact le plus destructeur de son handicap : sa condition génère la compassion des autres, obstacle à des relations « normales ».
Philippe a peur que cette femme ait de la compassion pour lui alors que ce qu’il veut lui, c’est l’amour…
Un personnage multidimensionnel définit par un évènement premier
L’amour est la dimension supplémentaire qui fait de ce protagoniste un personnage multidimensionnel.
C’est dans cet état de colère contre sa maladie, ses aidants et lui-même que nous le trouvons au début du récit de l’intrigue.
Très remonté contre ses employés, Philippe les perd et doit constamment passer par l’épreuve pénible de la sélection d’un nouveau candidat.
Un jeune homme très inhabituel se présente, dont la situation personnelle n’implique pas de compassion particulière pour ce monde si différent du sien…
L’évènement premier ne fait pas partie de l’intrigue narrée par le film. L’histoire apparaît tard dans le récit lorsque Driss découvre les enveloppes roses de la correspondante. C’est le choix de l’agent narrateur. Cette rétention est justifiée par le fait que Philippe cache cette affaire qui lui fait honte et qu’il considère comme une faiblesse coupable de sa part.