1984, George Orwell, 1949, trad. J. Kamoun.
L’agent narrateur extradiégétique bénéficiant de la « focalisation interne » peut donner l’impression d’avoir une certaine influence sur les pensées des personnages.
L’agent narrateur de 1984 n’est pas un personnage de l’intrigue, son identité est inconnue. Il×elle est capable de lire les pensées du protagoniste.
Dans un monde despotique, reposant sur le principe du contrôle absolu des libertés individuelles, physiques et mentales, cette capacité n’est pas forcément anodine. Elle peut suggérer des conséquences sur la sécurité des personnages (enjeux & risques) et par là même inciter l’agent récepteur à réfléchir sur la question du pouvoir.
Winston s’est réveillé les yeux pleins de larmes. Julia, tout ensommeillée, a roulé contre lui en lui murmurant quelque chose comme : « Qu’est-ce que tu as ?»
– J’ai rêvé…
Mais il s’arrête en route. C’est trop compliqué à mettre en mots parce qu’il y a le rêve lui-même, mais aussi un souvenir qui lui est lié et qui a envahi sa conscience quelques secondes après le réveil.
Cet agent narrateur semble pouvoir comprendre qu’un souvenir conscient est la source du désarroi du protagoniste à la sortie d’un rêve, mais il×elle n’est pas aussi précis×e dans la restitution des paroles de Julia.
… en lui murmurant quelque chose comme…
Cette incertitude pourrait être une manière d’exprimer la confusion de Winston : il n’a pas bien compris ce que Julia a murmuré. Le choix du discours direct est curieux.
Ou alors cette tournure trahit l’opinion de l’agent narrateur. Il×elle dit que ce n’est pas important ce que murmure Julia et donc que le manque de précision n’est pas un problème.
Ces trois mots « quelque chose comme » seraient l’indice de l’existence du monde de l’agent narrateur. Celui-ci ne serait pas qu’un agent abstrait.
Et si l’agent narrateur se permet d’exprimer indirectement une opinion, il est possible que sa subjectivité se manifeste également à d’autres niveaux dans le récit, comme par exemple le choix des pensées rapportées.
L’agent récepteur doit considérer la partialité du récit qui lui est fait.