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Faire puiser l’agent narrateur dans ses expériences personnelles pour convaincre de la pertinence d’une vision subjective

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Edward Munch se souvient d’une expérience personnelle pour nous transmettre une émotion puissante et dévastatrice. Cette compétence a donné à ce tableau son statut d’image iconique.

Dans l’antiquité grecques, une « statue iconique » était la représentation exacte et fidèle d’un athlète vainqueur. L’émotion figurée nous touche par son exactitude et nous convainc que son auteur ait pu la ressentir lui-même.

Les propos de Munch, qui a lutté toute sa vie contre des symptômes d’une maladie mentale héréditaire, confirment notre impression et apporte un éclairage sur les circonstances entourant la scène représentée.

Un soir, je marchais le long d’un chemin, la ville était d’un côté et le fjord en contrebas. Je me sentais fatigué et malade. Je me suis arrêté et j’ai regardé en direction du fjord — le soleil se couchait et les nuages devenaient rouge sang. [2]

Stanska, Zuzanna (12 December 2016). « The Mysterious Road From Edvard Munch’s The Scream ». Daily Art Magazine. Retrieved 23 October 2019.

D’abord, le sujet est confronté à un phénomène naturel imprévisible, c’est l’événement :

… il y avait du sang et des langues de feu au-dessus du bleu-noir du fjord et de la ville…

Mais le tableau représente l’instant qui fait suite à la surprise initiale, l’épouvante et l’angoisse ressentis par le protagoniste.

– mes amis marchaient, et je me tenais là tremblant d’anxiété – et j’ai senti un cri infini passer à travers la nature. Il me semblait que j’ai entendu le cri. J’ai peint ce tableau, peint les nuages comme du sang réel. La couleur hurlait. C’est devenu Le Cri. [Ibid]

Cette réaction n’est pas une conséquence concrète, physique de l’événement (comme dans « il pleut, je suis mouillé ») mais de l’interprétation qu’en fait le protagoniste, l’effet que celui-ci produit sur son état psychique. Cette image représente un moment d’un évènement intrapersonnel.

Comment Munch parvient-il à nous faire ressentir son désarroi d’une manière aussi pénétrante ?

Parce qu’il a une connaissance intime de ce qu’il dépeint.

Quelle preuve avons-nous de cette compétence ?

Il nous montre ce que seul quelqu’un qui est passé par là a vu, et il comprend qu’une émotion n’est pas limitée à sa seule expression physique…

… mais passe aussi par la vision subjective qu’elle crée chez celui qui en est la proie.

Le ciel est rouge comme le sang.

Le trou noir du fjord est sans fond.

La nature « hurle » si fort qu’il faut se boucher les oreilles.

Le corps se liquéfie.

Les amis regardent dans sa direction et probablement le jugent.

La perspective de la rambarde l’écrase.

C’est la sensibilité de Munch (sa « compétence ») qui lui fait voir tout cela, et cette vision singulière nous convainc du réalisme émotionnel de la scène.

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