La fonction* expérience émotionnelle
La question ici est de savoir comment l’agent narrateur d’une œuvre des arts narratifs peut espérer pouvoir provoquer une réponse affective, viscérale de son public, ou au contraire l’empêcher d’en avoir une…
Les théories les plus récentes décrivent l’émotion comme une réaction psychologique et physique née d’un évènement, le résultat d’une évaluation subjective, consciente ou non, dudit évènement par un individu (par exemple : être bouleversé par un accident et ses conséquences potentielles).
Dans une œuvre narrative, cet « individu », l’agent narrateur, et plus spécifiquement l’une de ces quatre entités:
L’auteur·rice-narrateur·rice
Un·e narrateur·rice identifiable
Un personnage de l’intrigue
Une entité inconnue.
L’agent narrateur est sous le coup d’une émotion provoquée par un évènement ou un nœud narratif, laquelle est transmise (exprimée/représentée) directement, indirectement ou gardée secrète par le récit.
L’agent récepteur du récit est à son tour confronté à cette émotion, laquelle devient son propre « évènement » faisant objet de sa propre évaluation cognitive, donnant lieu à sa propre réaction, laquelle peut prendre l’une ou plusieurs des formes suivantes :
• L’expression du même affect par « contagion » émotionnelle (Le clown rigole, je rigole).
• Une évaluation contradictoire de l’émotion (Le clown pleure, je rigole, shadenfreude, moquerie).
• La sympathie (Je suis affecté·e par l’émotion du personnage).
• L’empathie (Je comprends l’émotion et ses causes, sans ressentir/partager la même émotion).
• L’identification (Je veux être à la place du protagoniste).
• La pitié (Je suis bienveillant·e mais néanmoins je me sens supérieur·e à la victime).
• Une évaluation ambivalente: attirance/rejet, pour les émotions des protagonistes ayant perdu leurs repères moraux (anti-héros, criminels divers, non-humains).
• Le plaisir voyeuriste: impression superficielle, passive, distancé et un point de vue dépersonnalisant.
La qualité de la réponse affective de l’agent récepteur et son degré d’intensité sont très difficiles à prévoir et à quantifier avec précision. Ils dépendent du bagage psychologique de chaque individu, de son présent au moment du contact avec le récit, de ses opinions, de ses capacités à influencer les conditions de la réception de l’œuvre, etc. (c’est le champ d’étude de la « théorie de la réception »).
L’auteur·rice-narrateur·rice peut parfois avoir une certaine idée de cette réponse, si son œuvre appartient à un genre apprécié par un segment socio-démographique particulier (par ex. les superhéros, etc.), pour le reste, à moins que la fonction de l’œuvre soit l’endoctrinement, il·elle en est réduit·e à laisser à son public l’indépendance de son évaluation émotionnelle.
Nous nous concentrerons ici sur les émotions des personnages, exprimées ou non – leur propre expérience émotionnelle – et les moyens d’en accentuer les effets potentiels sur l’agent récepteur.
La principale source d’émotions est le spectaculaire, lequel provoque la fascination, la répulsion ou le ravissement grâce à son aspect inattendu, menaçant, étrange, irréel, inimaginable ou fantastique. Sur ce site, le spectaculaire se situe au niveau de l’évènement dans une intrigue, d’un nœud narratif, d’un point de tension narrative dans un récit ou à un point de tension argumentative ou descriptive.
Les autres émotions sont créées par l’application aux outils narratifs d’au moins un des facteurs* narratifs suivants:
Les conséquences concrètes d’une situation ne sont pas (encore) connues, du suspense est créé.
Facteur rétention
Un facteur narratif lié à l’histoire et/ou l’intrigue est susceptible d’augmenter la réponse émotionnelle (principalement la crainte) des personnages comme de l’agent récepteur :
Le protagoniste est conscient des risques et des enjeux associés à son objectif et/ou à la stratégie adoptée pour l’atteindre. L’agent narrateur permet à l’agent récepteur de les identifier.
Facteur enjeux-risques
Le récit peut ne pas à assurer la complicité émotionnelle de l’agent récepteur si les sentiments exprimés (à travers le contenu et la forme) ne paraissent pas réellement éprouvés par l’agent narrateur..
Facteur sincérité
Les autres facteurs générateurs d’émotions sont liés aux outils narratifs spécifiques à la mise en récit.
Ils concernent l’expérience esthétique du récit, la place qu’il accorde à son récepteur à travers l’accès, le non-accès, l’accès partiel, retardé ou anticipé des informations nécessaires à la compréhension de l’intrigue.
Ces facteurs renforcent le caractère inclusif de l’expérience susceptible de conférer à l’agent récepteur la satisfaction valorisante d’être « pris en compte » par l’agent narrateur.
Facteur cohésion
L’agent récepteur est confronté à l’absence d’information.
L’agent récepteur peut partager les émotions créées par un problème ou une énigme non résolue (mystère).
L’agent récepteur peut partager les émotions d’un personnage en manque d’information. (« ironie dramatique »)
Facteur rétention
La réponse émotionnelle de l’agent récepteur est influencée par la vitesse à laquelle les informations sont délivrées.
Facteur vitesse
L’agent récepteur est sous l’influence de la répétition de certaines informations.