Les contributions de l’
agent narrateur
1. Le coeur de l’intrigue
L’agent narrateur conçoit les éléments qui constituent l’évènement central de l’intrigue, pour les récits axés sur au moins une intrigue principale, ou les éléments d’un évènement-clé pour les récits du type « chronique ».
Une intrigue (ou un évènement) tourne autour d’un objectif explicite initial et d’un ou plusieurs obstacles directs ou indirects : Le·la protagoniste veut quelque chose en risquant d’obtenir autre chose.
Exemples :
– Casablanca: Le protagoniste déclare vouloir rester en dehors des problèmes d’autrui, il ne veut pas prendre parti (« I stick my neck out for nobody »).
– L’homme au bras d’or (The Man with the Golden Arm) : Le protagoniste veut vaincre sa dépendance à la drogue.
– Cendrillon : Une jeune femme pauvre aimerait pouvoir épouser un prince… mais depuis la nuit des temps, les jeunes gens subissent la dure loi des classes sociales.
2. Premiers traits de « caractérisation » et ébauche du monde de l’intrigue
L’agent narrateur choisit un ou plusieurs protagonistes, un ou plusieurs mondes compatibles avec le cœur de l’intrigue et susceptibles de l’enrichir en générant des obstacles intéressants /révélateurs /mystérieux, etc. ?
Des facteurs narratifs peuvent déjà être appliqués à ces deux outils.
Exemples :
– Casablanca: Rick, un ancien membre des brigades internationales (facteur enjeux-risques), dirige un café de Casablanca en 1941, lieu de rencontre, de marchandages et d’intrigues (facteur cohésion/contradiction)
– L’homme au bras d’or: Frankie, un repris de justice toxicomane (facteur enjeux-risques), habite un quartier interlope du nord de Chicago (facteur enjeux-risques).
– Une jeune esclave veut sortir de son bain, mais un aigle emporte une de ses sandales… et la fait tomber plus loin sur un roi (facteur cohésion/contraste) (Rhodopis, raconté par le géographe Strabo entre 7 av. J.-C. et 23).
3. Les développements naturels de la situation de départ
Il y a des situations et des développements qui découlent logiquement du cœur de l’intrigue; ils sont prévisibles, attendus, voire obligatoires (réalisme, vraisemblance). Ils ne sont donc pas générés par la seule imagination de l’agent narrateur, mais découlent de la logique convoquée par l’objectif et les obstacles prévisibles et vraisemblables.
L’agent narrateur choisit celles qui sont à ses yeux les plus significatives. Ce choix donne un sens spécifique à son récit.
Les facteurs narratifs le plus souvent appliqués à ce stade sont : réalisme, vraisemblance, enjeux-risques, typification.
Exemples :
– Casablanca: Rick est impliqué malgré lui, son sens moral est testé, il risque de perdre son café, il devra choisir son camp
– L’homme au bras d’or: Frankie fait une rechute, il sera rattrapé par son ancienne vie, il ne pourra pas se faire engager comme musicien, il parviendra, ou non, à vaincre son addiction
– Cendrillon : Le roi recherche la propriétaire de la sandale et l’épouse.
4. Additions à la situation de départ
L’agent narrateur peut se poser la question de savoir si les évènements directement générés par le cœur de l’intrigue doivent être complétés par d’autres événements découlant de la modification de l’objectif initial du protagoniste ou de l’apparition d’un nouvel objectif prioritaire
La situation donnée par le cœur de l’intrigue est ainsi relancée par un ou plusieurs « rebondissements », lesquels réoriente l’objectif du protagoniste ou lui fait changer de cap.
Exemples :
– Casablanca: Rick ne veut plus seulement rester neutre, il doit gérer l’arrivée inopinée d’une ancienne amante.
– L’homme au bras d’or : Frankie doit retravailler pour son ancien patron comme croupier, s’il veut pouvoir se rendre à son rendez-vous avec l’agent artistique qui peut le faire travailler comme musicien de jazz.
– Cendrillon : La protagoniste, élevée par son père à la suite du décès de sa mère, rêve d’une colombe qui se transforme en une femme. Cette fée efface ses défauts physiques, ce qui produit un gros effet sur le régent perse Cyrus le Jeune qu’elle rencontre à l’occasion d’un banquet (Aspasia la Phocéenne, 2esiècle apr. J.-C.)
5. Obstacles collatéraux
L’agent narrateur confronte le protagoniste à des obstacles qui ne s’opposent pas directement à l’achèvement de l’/des objectif(s) principal(aux), par exemple une histoire d’amour, mais qu’il·elle a choisis pour satisfaire, ou pour contrarier le réalisme ou la vraisemblance de l’intrigue, de son monde, de la « caractérisation » du protagoniste, etc.
Les facteurs narratifs les plus couramment appliqués à ces obstacles sont : réalisme, vraisemblance, intentionnalité, typification, cohésion.
Ces obstacles constituent une étape de la représentation de l’« opinion » (le point de vue) que l’agent narrateur a du protagoniste, et/ou de la réalisation d’une ou plusieurs fonctions narratives :
• Pacte d’adhésion (Intentionnalité, sincérité, vraisemblance, compétence)
• Expérience cognitive.
• Expérience émotionnelle
Ces obstacles contribuent à construire la « transaction » entre le protagoniste et l’agent récepteur, lequel accepte de croire en cette construction imaginaire qu’est l’œuvre narrative, fictive ou non, à la condition que le protagoniste…
l’émeuve
l’impressionne
le mette en colère
l’apitoie,
l’amuse
lui fasse peur
l’intrigue
le fasse réfléchir.
lui rappelle quelqu’un
lui rappelle lui.elle-même
l’incite à s’intéresser à son monde, sa manière de réfléchir, de ressentir.
L’inspire (libère son imagination)
etc.
Exemples :
– Le café de Rick ne peut rester ouvert que parce qu’il laisse son ami, le chef corrompu de la police de Vichy, gagner à la roulette.
– La femme de Frankie, qui prétend être paralysée à la suite d’un accident de voiture causé par son mari qui conduisait en état d’ébriété, le culpabilise afin qu’il reste avec elle.
– Cendrillon : La protagoniste, orpheline, est affublée d’une belle-mère et de demi-sœurs qui sont méchantes avec elle. Les arêtes d’un poisson magique lui fournissent des habits et une chaussure en or, qu’elle perd lors d’une kermesse locale. La chaussure atterrit dans les mains d’un roi… (Le conte de Ye Xian, in : « Morceaux choisis de Youyang » de Duan Chengshi, vers 860 ap. J.-C.)
6. Le récit
Deuxième phase de la « représentation » du point de vue de l’agent narrateur : la sélection de facteurs, lesquels sont appliqués aux outils narratifs lors de la mise en récit.
Cette étape parachève la « transaction » entre l’agent narrateur et l’agent récepteur : ce dernier fait confiance à cet agent de narration à la condition qu’il·elle puisse répondre à ces questions :
• Que veut l’agent narrateur?
• Qui a-t-il derrière ce récit ?
• Quel est l’apport personnel de cet agent narrateur à cette intrigue ?
• Que cherche-t-on à me dire ? Pourquoi ?
• Quelle place m’a-t-on aménagée dans le processus narratif (p. ex. faculté de pouvoir pénétrer le monde intérieur des personnages).
Quelques types d’agent narrateur:
Il·elle veut démontrer un don particulier (idées, sensibilité, connaissances, etc.)
Il·elle veut être le centre d’intérêt.
Contre les attentes de l’agent récepteur.
Cache une réalité.
Se fixe sur la réalité
Cherche à pénétrer le monde intérieur, secret, des personnages.
Celui·celle qui est dépassé.e par son intrigue/histoire
Celui·celle qui se bat contre son intrigue/histoire.
Un autre exemple
L’agent narrateur de Cyrano de Bergerac
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