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Rendre un monde irréel, vraisemblable

Les termes en italique sont propres à ce site. Vous trouverez leurs définitions dans le glossaire.

Les composants d’un monde imaginaire éloigné de la réalité de l’agent récepteur doivent être issus d’une logique cohérente et consistante pour garantir l’adhésion de ce dernier.

L’intrigue de 1984 se résume à un très petit nombre d’évènements clés, son récit est associé à des discours descriptifs, explicatifs et argumentatifs dont le propos et de nous faire partager les conditions de vie dans un Londres fictif de 1984.

Orwell construit un monde totalitaire dans ses moindres détails, dans le but de nous rendre attentifs à ses effets tragiques sur les libertés individuelles et de pensée.

Pour rendre ce monde crédible, il applique différents paramètres de vraisemblance.

1. Une partie du monde irréel appartient à la réalité de l’agent récepteur

Pouvons-nous reconnaître certains aspects de notre monde dans le monde imaginaire de la fiction ?

Notre croyance peut-elle s’appuyer sur une base connue avant d’être testée par des propositions fictives ? Par ex. les extraterrestres sont le plus souvent représentés avec des traits humains (deux yeux, des membres, etc.)

C’est le cas dans 1984 qui combine le Londres du Blitz, les conditions de vie sous le Stalinisme, lesquelles ont été abondamment documentées à l’époque de la guerre froide quand le roman a été publié, voire même des références à la Résistance française, ses réseaux clandestins et ses figures emblématiques .

À ce « connu » sont ajoutés des éléments de politique fiction (un gouvernement d’oligarques mystérieux, etc.) et une touche de science-fiction : le « télécran », un poste de télévision capable de voir et d’entendre chez les gens et une sorte d’ordinateur, le « parlécrire », utilisé par Winston sur son lieu de travail.

2. Une logique cause-effet est à l’origine du monde de l’intrigue

Le monde d’Océania est vraisemblable, car il s’inscrit dans une évolution crédible de la société occidentale aux sorties de la Deuxième Guerre mondiale. Des épisodes évoquent des évènements de l’Histoire mondiale (bombe atomique, guerre froide, régime communiste) avant d’évoluer vers un scénario catastrophe fictif.

L’action est située dans l’un des trois super-États totalitaires érigés à la suite d’une guerre atomique, résultat du détournement des objectifs d’une révolution utopiste par un groupe d’oligarques puissants.

Cet état fonctionne sur des principes totalitaires mis en pratique par le Stalinisme. Son économie d’état planifiée provoque les mêmes effets observés dans les régimes dictatoriaux de l’Histoire du XXe siècle (Pénuries, mauvaise qualité des produits de consommation, délabrement de l’équipement et des infrastructures, etc.)

3. Le monde fictif est viable

Quelles en sont les valeurs fondatrices ? Quels grands principes assurent son fonctionnement ? Quelles conditions assurent sa pérennité ?

Dans 1984, le système en place, le Parti fait usage des quatre moyens d’autorité typique des régimes autoritaires et liberticides :

La propagande

Entretenir en même temps deux opinions antithétiques avec une égale conviction. Jouer la logique contre la logique, bafouer la morale tout en s’en réclamant, croire la démocratie impossible et désigner le Parti comme son gardien, oublier ce qu’il faut oublier, puis retrouver la mémoire si nécessaire pour oublier aussitôt ensuite.

La surveillance systématique

Il n’y a bien entendu pas moyen de savoir si l’on est observé à tel ou tel moment. À quelle fréquence et selon quel système la Mentopolice se branche sur un individu donné relève de la spéculation. Il n’est pas exclu qu’elle surveille tout le monde tout le temps.

La répression

Un de ces jours , Syme sera vaporisé. Il est trop malin, voit trop clair, parle trop vrai. Ces gens-là déplaisent au Parti. Il va disparaître un de ces jours, c’est écrit sur son visage.

L’éducation et le lavage de cerveau.

 … dis-moi quels sont tes vrais sentiments à l’égard de Big Brother.

— Je le hais.

— Tu le hais. Bien. Alors il est temps que tu t’engages dans la dernière étape. Tu dois aimer Big Brother. Il ne suffit pas de l’obéir : tu dois l’aimer.

Il se représente des propositions ­– la terre est plate, dit le Parti, la glace est plus lourde que l’eau dit le Parti – et il s’entraîne à ne pas voir ni comprendre les arguments contre. Ce n’est pas facile. Il faut des facultés considérables de raisonnement et d’improvisation (…) Il faut aussi une forme d’athlétisme mental pour sauter d’une logique subtile à une ignorance parfaite des erreurs de logique les plus grossières. La bêtise est aussi nécessaire que l’intelligence, et tout aussi difficile d’accès.

4. Des influences concrètes et spécifiques du monde sur ses habitants.

Quelques exemples tirés de 1984 :

L’un des objectifs du pouvoir en place est de rendre caduc tout espace psychique individuel. La population est conditionnée par le régime pour ne pas avoir d’opinion.

Il a commis, et aurait commis quand bien même il n’aurait jamais pris la plus, le crime essentiel, celui qui englobe tous les autres. Le mentocrime, c’est son nom. Le crime de pensée, on ne le cache pas indéfiniment. On peut louvoyer un certain temps, des années parfois, mais tôt ou tard, on se fait coincer, c’est couru d’avance.

Le régime entretient un bas niveau d’éducation de la population.

C’est un homme grassouillet mais alerte, d’une bêtise confondante, un condensé d’enthousiasmes imbéciles, un de ces tâcherons à la dévotion indéfectible et inaltérable sur lesquels repose, plus encore que sur la Mentopolice, la stabilité du Parti.

Les citoyens se surveillent eux-mêmes, la délation est un outil d’avancement social et les enfants sont embrigadés dès le berceau

La malheureuse, se dit-il, avec des enfants pareils, elle doit vivre dans la terreur. D’ici un an ou deux, ils la surveilleront nuit et jour pour dépister chez elle le moindre manquement à l’orthodoxie.

Les dissidents sont « évaporés » avant même d’avoir eu le temps d’élaborer leurs thèses, les opinions des prolétaires sont ignorées

… dans la zone des prolos une femme s’est mise à faire du scandale en braillant (…) tant et si bien que la police a dû la sortir je pense pas qu’elle ait été inquiétée tout le monde s’en fout de ce que disent les prolos d’ailleurs c’est une réaction typique chez eux… 

Certains jouent la carte de la dissimulation derrière le masque du conformisme, c’est notamment le cas de l’amante de Winston.

C’est vrai que je trompe mon monde. Je suis bonne dans les jeux, j’étais cheftaine chez les Espions (…) J’ai toujours le sourire, je n’essaie jamais de couper à une corvée. Je le dis toujours, quand on veut avoir la paix, faut savoir hurler avec les loups »

L’absence de loi. Rien n’est illégal. Les citoyens sont contrôlés par le manque de clarté des règles.

En Océania, il n’y a pas de loi. Les pensées et les actions qui, si détectées, mènent à une mort certaine, ne sont pas formellement prohibées; et les purges sans fin, les arrestations, les tortures, les emprisonnements et les vaporisations ne sont pas infligés en punition de crimes qui ont vraiment été commis, mais sont simplement l’annihilation de personnes qui pourraient peut-être commettre un crime dans le futur.

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