City Lights, Charlie Chaplin, 1931
Les traits dominants des personnages secondaires sont parfois choisis en fonction (facteur cohésion) des obstacles qu’ils peuvent potentiellement représenter pour le protagoniste.
En 1928, Charlie Chaplin écrit un nouveau scénario sur la base d’une idée qu’il avait eu pendant la production de son film Le Cirque : un clown cherche à tout prix à cacher à son enfant qu’il est en train de devenir aveugle…
Pour Chaplin, le thème de la cécité est en phase avec l’identité de son protagoniste, le petit vagabond aux manières de gentlemen.
« Charlot » est un sans-abri que personne ne veut voir. Ou alors, lorsqu’il attire l’attention c’est pour une mauvaise raison. Les autres ne le voient pas comme un être humain, mais comme un parasite. Son humanité lui est niée. Seul dans la grande ville, il se résout à admirer la statue d’un nu féminin dans une vitrine.
L’intrigue du film tourne autour de la relation de Charlot avec un homme riche déprimé par le départ de sa femme. Reconnaissant de l’avoir empêché de se suicider, l’homme le déclare « ami pour la vie » et l’emmène faire la fête. Le problème est que le lendemain il a tout oublié et ne reconnaît plus Charlot (une forme de « cécité ») …
Comme tout mélodrame romantique qui se respecte, le récit requiert une intrigue amoureuse.
Imaginons être à la place d’un agent narrateur qui doit maintenant trouver le personnage qui fera chavirer le cœur de Charlot.
La méthode proposée est d’appliquer différents types de facteur cohésion à la « caractérisation » du protagoniste central et de sélectionner l’association qui génère le sens et/ou les émotions les plus pertinents.
Le point de départ est constitué des traits principaux du protagoniste. Pour savoir qui apportera un éclairage intéressant sur l’ostracisme dont il est sujet et sur sa solitude, il faut tester différents types de cohésion :
/Confirmation : Charlot rencontre un×e compagnon à l’esprit large, qui n’a aucun problème avec sa pauvreté et son statut d’outsider (« Personne n’est parfait » Some Like it Hot, Billy Wilder, 1959).
/Contradiction : Charlot rencontre un∙e compagnon riche (c’est le stéréotype du couple mal assorti – « odd couple », King Kong, M.C. Cooper, E. B. Schoedsack, 1933; Harold et Maud, H. Ashby, 1971)
/Métaphore : Un fantôme (lui×elle aussi est invisible…)
/Concordance : Un×e autre compagnon sans-abri ou victime du rejet de la société.
/Inévitabilité : Un enfant (The Kid). On est né pauvre et on le reste…
/Confirmation : Un personnage qui prend parti de son statut de victime impuissante (c’est le cas dans la scène du match de boxe arrangé).
/A contrario : personne ne le voit. La société est aveugle. La société a décidé de ne pas le voir. Charlot pourrait rencontre quelqu’un qui ne peut pas le voir, une personne aveugle…
Cette dernière association est séduisante, car elle accentue le désespoir du personnage de Charlot et nous fait réfléchir sur l’injustice sociale : la seule personne qui manifeste de l’intérêt pour lui ne le voit pas… Il reste physiquement invisible aux yeux de l’autre, il faudra donc que leur humanité les lie à un autre niveau.
Cette nécessité sous-tend la relation du vagabond-faux-riche et de la petite vendeuse de fleurs jusqu’à la dernière scène dans laquelle Charlot, dans l’indigence la plus totale, la laisse finalement « voir » sa vraie identité.
You can see me now (Vous me voyez maintenant.)