L’histoire IA : comment collaborer avec des machines?
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L’IA est-elle un agent narrateur comme un autre ?
Les outils d’écriture alimenté par l’intelligence artificielle ne peuvent pas, par définition, être considérés comme des agents narrateurs à part entière. Les algorithmes de l’IA sont créés dans le but d’égaler les compétences d’un type unique d’intelligence, que leurs concepteurs revendiquent être identique à l’intelligence humaine (sans jamais en donner la définition d’ailleurs…).
Or, un agent narrateur n’est pas « tout le monde » mais l’incarnation d’un point de vue spécifique, c’est-à-dire un mode de réflexion personnel, sujette à la subjectivité, l’intuition, l’irrationnel et à diverses formes de failles de connaissances, de valeurs morales et de sensibilité.
Les suggestions de l’IA ne sont pas issues d’un agent narrateur, elles ne constituent pas un récit mais des fragments de différents récits (lesquels ont servi à « entraîner » la machine) mis bout à bout. L’IA ne peut donc pas « écrire une œuvre narrative » originale, tout au plus peut-elle contribuer à la création de l’intrigue.
Que veut un
agent narrateur ?
Trois exemple de traits d’ « intelligence » narrative que les aides à l’écriture alimenté par l’intelligence artificielle n’ont pas :
1. L’IA ne comprend pas que la diffusion de l’intrigue n’est pas le but ultime d’une œuvre narrative
Les évènements de l’intrigue sont filtrés par le prisme de l’agent narrateur. Il y a une multitude de récits possibles pour la même intrigue. Les choix de narration sont issus de critères plus ou moins conscients, plus ou moins motivés, toujours potentiellement contestables.
L’intrigue sans point de vue singulier transforme le public en voyeur passif. Un récit inclut l’agent récepteur dans une construction dialectique et émotionnelle. L’intérêt d’un récit se situe autant dans ce que l’agent narrateur sait de l’intrigue que dans ce qu’il ignore ou ne peut/veut pas voir et entendre.
2. L’IA est incapable de gérer les personnages en contradiction avec eux-mêmes
Lorsqu’une voiture à conduite autonome est confrontée à une route fermée pour des travaux fortuits, elle s’arrête et reste sur place sans rien faire. L’intelligence artificielle n’est pas capable de reproduire le sens commun, l’intuition, la projection dans l’inconnu, l’ingéniosité.
Les algorithmes de l’écriture artificielle présument que les personnages poursuivent un seul objectif à la fois, alors qu’un objectif peut être un moyen d’atteindre un autre but ou être (provisoirement) en total contradiction avec les intérêts du protagoniste.
Que veut un
personnage ?
3. L’IA ne se pose pas la question de ce qui rend une œuvre unique
La machine base ses critères sur des idées déjà émises par d’autres alors que la valeur d’une œuvre d’art se mesure par sa nouveauté, son caractère non expérimenté, non éprouvé.
La machine vise les connaissances (trop souvent confondu avec l’intelligence), l’être humain explore, à travers l’art, ce qu’il y a derrière les connaissances, l’essence de la vérité, le sens de la conscience et de l’existence.
Mais alors à quoi peut servir l’intelligence artificielle en narration ?
Elle permet de tirer parti de ses capacités à créer un nombre infini de situations inattendues, imprévisibles, mystérieuses. L’IA est une machine à surprises, l’effet symptomatique d’un évènement.
« Tiens, c’est intéressant, elle me propose d’aller à un endroit auquel je n’aurais pas pensé. » C’est ce qui m’amuse, comme une dérive situationniste, la machine va à chaque fois emmener vers quelque chose de complètement inattendu.
Simon Bouisson [in] L’ADN, Une IA capable d’écrire des scénarios ? L’auteur nous raconte (ladn.eu)
Mais la surprise n’a de sens que par rapport aux découvertes qu’elle permet de faire sur celui·lle qui s’est laissé surprendre. Il y a des surprises futiles et d’autres qui tirent à conséquence. Seul un agent narrateur « habité » par une conscience peut faire ce choix.
Qu’est-ce que la
surprise ?
Quelles conséquences positives l’avènement de l’intelligence artificielle peut-elle avoir sur la création narrative ?
Face à la montée des « récits » artificiels, l’agent narrateur « naturel » peut se différencier en développant ses aptitudes à rendre perceptif sa contribution proprement humaine.
Le choix des outils narratifs, leur mise en application, les indices laissées par les intentions, les motivations, les réticences dans le récit sont autant de moyens de pénétrer le monde intérieur singulier, conscient et inconscient de l’agent narrateur central, que j’appelle sur ce site : auteur-narrateur.
Un récit de qualité est aussi une histoire, celle de l’agent narrateur. Un récit ne nous raconte pas seulement une intrigue mais aussi l’histoire de celui·elle qui nous la transmet. L’expérience narrative de l’agent récepteur (lecteur·rice, spectacteur·rice, auditeur·rice) est celle d’une transaction entre sa propre histoire et celle de l’agent narrateur.
L’IA pousse donc plus que jamais les concepteur·rice·s de récits à (re)confronter à certaines questions fondamentales telles que :
• Pourquoi l’intrigue a-t-elle besoin d’être racontée ?
• Quelles motivations se cachent derrière le choix des obstacles?
• Que veut l’instance qui fait les choix de récit ?
• A quoi sert cette description ?
• Pourquoi l’agent narrateur « regarde »-t-il·elle dans cette direction ?
• Quel est le sens de tel évènement?
• Qu’est-ce que l’acteur·rice a à dire sur son personnage ?